Nouveau plan national de lutte contre la haine anti-LGBT: des points positifs et des interrogations
Après plus d’un an d’attente, le ministère délégué à l’égalité femmes-hommes, à la diversité et à l’égalité des chances a dévoilé le 14 octobre le nouveau plan de lutte contre les haines anti-LGBT couvrant la période de 2020 à 2023. Ce plan reconduit certaines actions déjà inscrites ou mises en œuvre depuis 2016, et 91 nouveaux objectifs couvrant la santé, l’éducation ou la lutte contre la haine. Si cette reconduction renforcée du plan est une réjouissance, elle soulève des questions sur la manière dont certaines actions seront réalisées et évaluées.
Il aura fallu attendre plus d’un an pour voir le « Plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT« [1] reconduit et actualisé. L’Inter-LGBT est soulagée de voir ce nouveau plan mis en place. En effet, cette absence n’était pas un signal rassurant sur l’engagement gouvernemental en matière de lutte contre la haine anti-LGBT. Cette absence était une des causes de l’important recul de la France dans le classement Rainbow Europe de l’ILGA Europe[2], alors même que plusieurs rapports pointaient une progression inquiétante de la LGBTphobie sur le territoire.
L’Inter-LGBT souligne que si certaines grandes avancées pour les droits LGBTQI+ se sont faites par voie législative, ce sont les plans successifs qui ont permis de nombreux progrès par exemple pour la prise en compte des LGBTphobies dans les chiffres et enquêtes, en matière d’accueil des victimes ou de formation de certains corps professionnels.
Des actions prolongées ou renforcées en matière de santé, d’éducation, de justice et à l’international
L’Inter-LGBT salue des progrès notables dans la construction du plan par rapport au précédent, avec notamment des mesures plus précises et des acteurs identifiés pour leur mise en œuvre. De plus, l’évaluation de la loi de changement d’état civil pour les personnes trans de 2016 doit permettre une appréciation objective de l’accompagnement lors des parcours de transition. La question sur la déjudiciarisation de la loi en vigueur doit être clairement posée et non plus limitée à une seule étude[3].
Nous retenons à nouveau l’accent mis sur la formation des professionnel·les, notamment dans les secteurs de la Santé, de l’Enseignement, de l’Intérieur et de la Justice, qui semble marquer une ambition pour faire progresser les différents corps de métier sur les enjeux et la reconnaissance des personnes LGBTQI+. Cela devrait être le cas notamment avec la mise en place d’Observatoires académiques contre les haines anti-LGBTI liant les services du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, et les associations, ce qui est une avancée positive. Toutefois le nombre de personnes à former est immense et le suivi du plan devra démontrer la véritable volonté politique de changer la situation.
De ce fait, nous ne pouvons qu’être inquièt·e·s que cette ambition ne soit pas précisée par un calendrier ou un budget, des indications importantes à même de distinguer ce plan d’action d’une simple liste de souhaits.
L’axe de la santé est également appuyé dans le nouveau plan, avec de nouvelles actions visant à lutter contre la sérophobie, tant au niveau du système de santé que du travail et de l’insertion professionnelle. L’Inter-LGBT espère que ces 17 actions visant à améliorer l’accès à la santé et à lutter contre les discriminations fondées sur l’état de santé inciteront enfin une réelle écoute et une mobilisation de la part du ministère des Solidarités et de la Santé à la hauteur des situations vécues par les populations LGBTQI+ les plus fragiles et nécessiteuses.
Au niveau diplomatique et international, le plan inscrit également le soutien aux personnes LGBTQI+ dans le monde, mais ne mentionne pas explicitement la construction du réseau LGBT international francophone en cours de construction sur une initiative du gouvernement du Québec ni le soutien que l’on peut apporter aux pays qui débattent actuellement d’étendre l’accès au mariage aux couples de même sexe.
Ce sont des annonces plus que bienvenues et qui viendraient donc trancher avec l’attitude de la diplomatie française, qui a été trop longtemps silencieuse sur ce qui se passe à l’international et au sein même de l’Union européenne.
Le plan inclut également un ensemble d’actions destinées à augmenter et améliorer l’accueil des personnes réfugiées ou demandeuses d’asile. Pourtant, dans aucun des textes, il n’est fait mention des actions à mener en faveur des personnes LGBTQI+ dans le monde ni de l’accueil des demandeur·euse·s d’asile LGBTQI+. Cela peut être interprété comme le signe d’un manque de volonté d’agir dans ce domaine. Le bilan de l’action de l’État pour faire reculer les violences et les discriminations contre les personnes LGBTQI+ dans le monde est extrêmement faible. Nous espérions une plus grande sensibilité de la ministre sur la dimension internationale de ce plan.
Ces indications de futures actions sont là aussi pertinentes, mais il faudra les considérer selon les actions réellement menées. Le silence du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères depuis 3 ans sur le sujet, comme l’arrêt des rencontres avec les associations mobilisées sur la solidarité internationale ne sont-ils pas symptomatiques d’un désintérêt du ministre ? À de trop nombreuses reprises, des annonces ont été faites, pourtant contraires aux politiques menées, notamment sur l’accueil des réfugié·e·s. Nul n’a oublié les épisodes autour de l’Aquarius.
Les absences et limites du plan
Concernant l’interdiction des « thérapies de conversion » évoquée par la ministre lors de sa présentation du Plan, ce sujet est trop important et nécessite un vrai travail qui ne permet pas d’accepter son intégration au sein du projet de loi « confortant les principes républicains ».
Si plusieurs mesures sont prévues pour faciliter l’inclusion des familles homoparentales, l’Inter-LGBT déplore profondément que la question de l’état civil des enfants né·e·s de parents trans ne soit toujours pas prise en compte : la loi adoption tout juste passée en première lecture en a fait une tragique nouvelle démonstration.
Comme l’a encore montré récemment la décision de la Cour de cassation refusant d’établir la filiation d’un enfant avec sa mère sociale trans[4] : ces enfants sont laissés dans un vide juridique inacceptable, nécessitant une évolution du droit de la filiation permettant de reconnaître un enfant né d’un homme trans ou d’une femme trans, indépendamment de leur lien biologique.
La PMA Pour Toutes est présentée comme un acquis, or le projet de loi bioéthique est toujours en suspens. L’Inter-LGBT restera vigilante quant aux dispositions sur les personnes trans et intersexes qui manquent sérieusement dans le texte adopté en première lecture. L’Inter-LGBT souligne aussi que si la loi bioéthique est votée, il faudra être particulièrement vigilant face aux risques de discrimination des couples de femmes et des femmes célibataires dans les CECOS.
Les mesures concernant la violence dans les couples de même sexe auraient pu être plus développées : malheureusement la violence intraconjugale n’épargne pas les couples de même sexe, allant parfois jusqu’au meurtre. Il serait utile de développer les informations à ce sujet et la création de places d’hébergement d’urgence. Il faudrait également songer à la formation des professionnel·le·s qui, faute de connaissance, sont souvent marqué·e·s par des préjugés notamment sur les femmes lesbiennes.
En matière de santé, nous déplorons que la question des traitements médicaux des personnes intersexes, et notamment les enfants, ne soit pas plus fermement affirmée, afin d’interdire les actes de mutilations dans le cadre de la loi de bioéthique et mettre fin à la violation de leurs droits humains.
Nous regrettons aussi que les travailleur·se·s du sexe soient totalement oublié·e·s du périmètre du plan, alors que les luttes de cette communauté sont étroitement liées à celles des personnes LGBTQI+ depuis leurs origines. Nous rappelons que les meurtres transphobes touchent majoritairement des travailleur·se·s sexuel·le·s.
Plus globalement, l’Inter-LGBT exprime sa grande inquiétude sur les formulations figurant dans ce plan, telles qu’« Inviter », « Inciter » ou « Favoriser ». C’est une mise en forme très regrettable des propositions pourtant intéressantes qui sont écrites dans ce plan. La manière dont ces actions seront concrètement mises en œuvre reste donc très vague et peu rassurante. Si certaines actions sont assez précises, de nombreuses restent malheureusement encore trop vagues et la manière dont elles seront conduites et évaluées nous parait à ce stade compliqué.
Par ailleurs, autant la précision des acteurs qui seront en charge d’opérer (potentiellement) ces prochaines politiques publiques ou de reconduire celles déjà engagées dans le précédent plan est une indication ; autant celle-ci laisse craindre surtout une dispersion et une dilution de la chaîne des responsabilités.
Chaque organe de l’État et des ministères ayant ses propres objectifs et impératifs, comment saisir concrètement la validité de ces pistes d’action et leur future mise en place si le ministère délégué n’a pas une mission de pilotage et de correction des politiques des autres ministères ?
Des moyens financiers suffisants ?
Pour soutenir les projets et les actions menées par les associations, le budget annuel octroyé à la DILCRAH et dédié à la lutte contre la haine anti-LGBT (1,5 million d’euros) a été reconduit à l’identique pour la nouvelle période de 2020-2023. Techniquement, cela se traduit donc par une diminution des moyens financiers jusqu’en 2023, compte tenu de l’inflation depuis l’extension de son champ de compétence en 2016.
L’Inter-LGBT regrette l’absence de l’augmentation de ce budget permettant de soutenir les projets associatifs, d’autant que le gouvernement s’appuie en partie sur ces actions pour valoriser certaines actions du plan. À cette occasion, l’Inter-LGBT rappelle encore les difficultés pour subventionner les quotes-parts dédiées aux frais de structure et de fonctionnement des associations qui limitent leurs moyens et leur capacité à se développer par le recours à des moyens matériels ou humains. Une politique nationale d’aide à la professionnalisation dans le milieu associatif et à la mise en place de structurations pérennes sur la base de financement public pluriannuel (sur convention, avec objectifs) est encore, à ce jour, manquante.
Le plan n’évoque pas non plus les budgets dédiés à la mise en œuvre des actions du plan à la main des ministères et institutions pointées. Au-delà du budget de la DILCRAH, l’Inter-LGBT s’interroge et demande plus d’éléments sur les réels moyens engagés. Nous craignions en effet, comme nous l’avons déjà éprouvé de nombreuses fois ces dernières années, que cette absence d’arbitrage budgétaire soit prétexte pour les autres ministères à renvoyer les actions vers l’équipe d’Élisabeth Moreno en charge du pilotage du plan, faute de financement effectif.
La suite ?
Bien que la préparation de ce nouveau plan ait fait l’objet de différentes rencontres avec le tissu associatif au cours du 1er semestre 2019, nous notons que la méthode n’a pas formellement initié un travail avec des bilans d’étape à l’achèvement de la précédente période de 2016-2019. Nous retenons l’engagement pris par la ministre de mettre en place un comité de suivi. Nous demandons à cette occasion que des indicateurs concrets et mesurables soient formalisés en face de chaque action afin de juger collectivement et objectivement de l’effectivité de ces engagements.
Le rendez-vous est donc pris avec le ministère délégué à l’égalité femmes-hommes, à la diversité et à l’égalité des chances lors des prochains comités de suivi du plan de lutte contre la haine anti-LGBT, dans la transparence et l’esprit collaboratif avec l’ensemble des associations et des partenaires sociaux impliqués, et pour une évaluation basée sur des indicateurs concrets, ne limitant pas ces actions à un constat d’effet d’annonces.
[1] https://www.dilcrah.fr/plan-national-dactions-pour-legalite-contre-la-haine-et-les-discriminations-anti-lgbt-2020-2023/
[2] https://www.ilga-europe.org/rainboweurope/2020
[3] Actions n° 32 du plan « Évaluer l’application de la loi du 18 novembre 2016 (…) sur la procédure de changement de la mention du sexe à l’état civil (…). Engager une étude comparée avec les autres pays de l’UE, notamment ceux où la procédure a été déjudiciarisée »
[4] https://www.lesinrocks.com/2020/09/17/actualite/societe/la-cour-de-cassation-refuse-le-statut-de-mere-a-une-femme-transgenre/