Les droits des personnes LGBTQI+ sont-ils encore une priorité pour le ministère des Affaires étrangères ?
Le 11 mai débutera l’examen en séance au Sénat du projet de loi relatif au développement international. Les droits des personnes LGBTQI+ et les organisations qui les soutiennent sont une nouvelle fois le parent pauvre des financements accordés par la France, alors même que les pays qu’elle soutient pénalisent majoritairement les rapports entre personnes de même sexe.
Tous les ans ce sont environ 233 millions d’euros qui sont dépensés pour soutenir l’avancement des droits LGBTQI+ dans le monde. Sur ces sommes, à peine 0,04% sont accordés par les états (soit 3 centimes chaque 100€ d’aide accordés) et la part de la France est à peine de 110 000€, bien loin derrière la Suède (12,6 millions d’euros), le Royaume-Uni (7,8 millions) et les Pays-Bas (5,7 millions). À titre de comparaison les seules ambassades d’Allemagne dans le monde ont accordé 244 650 € soit plus du double de l’aide française. L’ONG néerlandaise COC dépense à elle seule 32 fois plus que le gouvernement français (3,5 millions)[1].
Derrière les grandes déclarations des autorités, la France traine le pas, loin de ses pairs européens. Dans la perspective des montants totaux des aides publiques au développement (APD) accordées par les différents pays, la France accorde 0,001 % aux questions LGBTQI+ là où d’autres contribuent nettement plus[2]. La France contribue ainsi bien moins aux financements des organisations LGBTQI+ que les autres gouvernements occidentaux, tant en termes de montants totaux et qu’en pourcentage.
Pourtant l’aide au développement est présentée comme un outil de poids dans la politique extérieure de la France au soutien des droits humains, et donc aussi de ceux des communautés LGBTQI+. À notre grand regret cette question n’a pourtant jamais été abordée ni lors de l’audition de M. Jean-Yves Le Drian, ni lors des auditions de MM. Rémy Rioux (Agence Française de Développement) et Jérémie Pellet (Expertise France), pas plus dans les priorités géographiques ou thématiques du ministère des Affaires étrangères.
Dans le texte de la loi, cette question n’apparaît d’ailleurs qu’à une seule occasion au milieu d’une longue liste d’autres thématiques, elles-mêmes capitales. Or parmi les 19 pays prioritaires vers lesquels la France dirige principalement ses financements internationaux, la majorité criminalisent les relations entre personnes de même sexe (Burundi, Comores, Éthiopie, Gambie, Guinée, Liberia, Sénégal, Togo) ; dans certains les personnes LGBTQI+ risquent même la peine de mort (Mauritanie et Tchad).
Côté finances, le projet de loi fixe un cap à 0,55% du revenu national brut consacré à l’aide publique au développement, en deçà des 0,7% conformément aux recommandations de l’ONU depuis les années 1970 et malgré les engagements répètes du Président de la République. Également, l’annualisation des engagements de la France dans des projets de loi de finance (PLF) successifs empêche un regard au long court et la sécurisation de projets pluriannuels dont les populations ont pourtant un besoin certain.
Alors que le gouvernement déclare vouloir mieux associer les acteurs de la société civile à sa politique extérieure, il est étonnant de constater que contrairement au souhait qu’a pourtant exprimé M. Le Drian à l’Assemblée nationale, le ministre n’a jamais donné suite aux demandes de rendez-vous des ONG LGBTQI+ et ce depuis le début du quinquennat. Le CICID (Comité Interministériel de la Coopération Internationale et du Développement) n’associe lui-même aucune ONG LGBTQI+ à la mise en œuvre des priorités fixées et le choix du gouvernement de faire voter le texte en procédure accélérée au Parlement réduit encore plus les possibilités pour la société civile de contribuer à enrichir le texte.
Quand bien même la majorité parlementaire a cité à de nombreuses reprises l’objectif de l’ONU de « ne laisser personne de côté » d’ici 2030, ils et elles ont pourtant refusé de voir inscrire dans le marbre de la loi la référence aux Principes de Yogyakarta[3], texte de 2006 qui dispose 38 droits inaliénables sur l’application du droit international en raison de l’orientation sexuelle et/ou de l’identité de genre.
L’Inter-LGBT appelle donc les sénateur·rice·s à mettre en cohérence les paroles et les actes. Que le gouvernement fasse siennes les promesses de respect et de soutien aux droits des personnes LGBTQI+ et des organisations qui les défendent est une chose, mais leur accorder les financements nécessaires pour mener à̀ bien leur travail en est une autre. Au-delà des belles paroles l’Inter-LGBT souhaite vivement que la France devienne enfin l’alliée de poids qu’elle prétend être sur la scène internationale depuis toutes ces années ; ce serait tout à̀ notre honneur.
[1] Chiffres issus du rapport annuel de GPP, Global Philantropy Project : https://globalresourcesreport.org/wp-content/uploads/2020/04/GRR_2017-2018_FR_SinglePage_BW_180221.pdf
[2] Suède : 0,4% ; Pays-Bas : 0,18%
[3] https://yogyakartaprinciples.org/principles-fr/